La fiction
Fiction
"La fiction désigne l'univers mis en scène par le texte : l'histoire, les personnages, l'espace-temps. Elle se construit progressivement au fil du texte et de sa lecture."
Y. Reuter, L'analyse du récit
(Lorsque l'auteur des citations de cette page n'est pas indiqué, c'est qu'il s'agira de cet
ouvrage.)
Dans l'album, cette fiction est prise en charge conjointement par le texte et les images.
L'histoire : actions, intrigue
C'est là que je suis censée présenter les outils d'une analyse structuraliste de l'histoire, ces outils dont les enseignants ont abusé ces dernières années aux dépens du sens, de l'interprétation, ce qui au final est la seule chose qui importe ! Je me contenterai donc de les évoquer rapidement en précisant ce qui peut faire leur intérêt.
A propos des actions
Premières questions : Les actions sont-elles nombreuses ou pas, sont-elles de nature interne à la psychologie du personnage ou externe à celle-ci ?
"Plus les actions sont nombreuses et tournées vers l'extérieur, plus on sera du côté de récits d'actions ou de romans d'aventure." Ces questions aideront donc le lecteur à déterminer quel est le genre du récit.
Deuxième question : Quelle est l'organisation interne de l'action ?
Deux éventualités :
Cette question permet de s'interroger sur le caractère du personnage mais aussi sur les raisons qui le poussent à agir ou pas, jusqu'au bout ou pas..., sur qui, quoi l'en empêchent.
Troisième question : Quelle est l'importance respective des actions au sein de l'histoire ? Roland Barthes (1966) distingue
C'est la question à se poser pour rédiger un résumé efficace.
Quatrième question : Comment les actions s'organisent-elles pour former l'histoire ? Il existe rois formes de relations :
"Ces relations sont essentielles pour articuler les actions en une intrigue globale qui, en retour, intègre et donne sens aux multiples actions qui la composent." C'est donc une question incontournable pour comprendre un récit.
A propos de l'intrigue
La question de l'intrigue incite à s'interroger sur la structure globale de l'histoire.
V. Propp s'est intéressé à cette question à partir d'un corpus de contes. Il a déterminé trente-et-une fonctions ! Greimas, Adam et Larivaille ont construit un modèle plus abstrait : le schéma quinaire :
Dans ce modèle, le récit se définit fondamentalement comme la transformation d'un état en un autre état. Et en cela il permet de préciser quel était l'enjeu de l'histoire. Pour de jeunes lecteurs, c'est une clé de compréhension et d'interprétation intéressante.
Mais ce modèle est à manier avec "prudence et relativité", notamment
L'important n'est pas de retrouver ce schéma mais bien plutôt "d'analyser comment il est spécifié par chaque récit, comment et pourquoi il est manipulé", notamment quels sont les effets produits sur le lecteur... L'important c'est la singularité de chaque histoire, de chaque récit !
Pas d'histoire sans personnages ! (ou presque)
Mais les théories concernant le personnage sont nombreuses et appartiennent à des champs variés. Cette présentation ne sera pas exhaustive. Je vous propose une sélection qui me semble pertinente pour accompagner de jeunes lecteurs.
"Le personnage est une construction textuelle et, dans le cas de l'album, une représentation iconographique qui sert de "support à l'action", c'est encore pour le lecteur un support d'identification".
Myriam Tsimbidy, Enseigner la littérature jeunesse, Presses universitaires du Mirail, 2008
La création d'un personnage
"On crée traditionnellement un personnage en le nommant et en le caractérisant de deux façons : de manière explicite par son physique et son caractère ou (et) de manière implicite par ses gestes et ses propos qui dévoilent ce qu'il est." Mais ce qui crée l'existence d'un personnage c'est moins son portrait que les procédés de désignation et de caractérisation. Les désignations apportent des informations multiples : elles révèlent le nom des personnages, leur fonction et permettent de connaître les liens qui les relient. (Myriam Tsimbidy, ibid)
Le nom
"Le nom concentre toutes les informations, il renforce le degré de vraisemblance de la fiction lorsque l'identité est établie à la manière des personnes de chair et d'os. Il instaure même un pacte de lecture selon qu'il révèle un caractère ou un destin, qu'il renvoie à un genre ou à une parodie de genre." (ibid)
Le nom permet en effet de classer les personnages de diverses façons : une aire géographico-culturelle, un genre (prénoms de contes...)...
"Le nom fonctionne en interaction avec l'être et le faire des personnages. On appelle ce phénomène la motivation du nom, ce qui signifie concrètement que le nom programme et synthétise en quelque sorte ce qu'est et ce que fait le personnage. Cela peut s'effectuer de manière explicite et dans ce cas le lecteur s'attend, dès la première occurrence du nom à un certain type de personnage et d'action. Ou, en revanche, se réaliser de façon plus implicite, plus complexe ou plus indirecte. Dans ce cas, le lecteur va, en fonction des qualifications et des actions des personnages, comprendre rétrospectivement le sens de leur nom." (Reuter)
Une construction textuelle
Une construction iconographique
Les rôles des personnages
Pour M. Fabre, un personnage se définit ainsi selon trois rôles :
Schmehl-Postaï Annette, Huchet Catherine, « Lire et interpréter les rôles des personnages pour comprendre les récits », Le français aujourd'hui, 2018/2 (N° 201), p. 27-38.
DOI : 10.3917/lfa.201.0027. URL : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2018-2-page-27.htm
Le rôle narratif fait notamment référence au schéma actantiel de Greimas. Attention à l'utilisation de ce schéma. Il ne s'agit pas de systématiser son repérage dans les récits !
Le rôle thématique renvoie notamment aux stéréotypes ou, dit autrement, aux types de personnages : la sorcière, le détective, la prince charmant...
Les types de personnages
Le personnage de l'ogre
L'identification du lecteur au personnage
" Il faut au départ une bonne histoire. (...) Il faut, au départ, un héros, une héroïne. (...) Il faut que le lecteur s'identifie avec le personnage principal ou un personnage secondaire" (Arthur Hubschmid, directeur général de l'édition de l'Ecole des loisirs, 2014)
Explorons cette piste avec Cécile Boulaire, Lire et choisir ses albums, Didier jeunesse, 2018.
Les citations de cette partie seront issues de cet ouvrage, chapitre 6, Le personnage.
S'identifier serait "se reconnaître dans le personnage"
"C'est la modalité d'identification la plus primaire".
Le personnage respecte "un certain nombre de contraintes en termes de lieu, d'époque, de milieu social, pour que l'enfant puisse y reconnaître son propre univers quotidien."
Ce sont souvent des albums utilisés "comme des guides de comportement social" :
"Super petit livre que j'avais acheté à ma fille de 2 ans pour la préparer à l'abandon des couches. Elle a adoré l'histoire, les images et a bien compris ! En quelques jours, la couche était abandonnée. Bref c'est un bon achat pour moi." (2017)
Ces albums ne présentent que très peu voire pas du tout d'intérêt sur le plan littéraire !
S'identifier serait "souhaiter ressembler au personnage"
"C'est le cas dans les albums dont le personnage principal pourrait être désigné par le terme de "héros". Un héros, c'est quelqu'un qui se distingue par des faits extraordinaires, ou des attitudes et des aptitudes remarquables. A ce titre, il suscite l'admiration. La fascination pour le héros prend la forme d'un désir (secret) de lui ressembler, afin de mériter soi-même l'admiration dont il est l'objet. Elle est à la base du goût de la jeunesse pour le roman d'aventures."
Cette identification fonctionne avec des albums qui racontent des faits hors du commun et admirables. Le plaisir à lire ces albums est nourri de "désir de vivre de telles expériences".
"Pour que de tels albums fonctionnent, deux conditions doivent être réunies :
S'identifier serait se reconnaître dans l'un des aspects uniquement du personnage
C'est le cas lorsque le personnage n'est pas héroïque, lorsque l'album n'a pas de caractère normatif.
Le lecteur "commence par retrouver quelque chose de lui-même. "Le personnage de l'histoire est en quelque sorte un double du lecteur par un de ses aspects, même s'il n'a pas du tout été pensé pour être un parfait miroir du lecteur".
S'identifier serait reconnaître dans ce que vit le personnage, quelque chose de ses émotions intimes, peurs ou désirs
C'est le cas lorsque le personnage est plutôt misérable. Il apparaît comme un anti-héros puisqu'au lieu de manifester des capacités hors normes et de réaliser des actions exceptionnelles, il se caractérise par ses manques : manque de courage, de détermination, de cadre affectif et protecteur, de chance...
Dans ce cas, la reconnaissance est symbolique : "le lecteur retrouve dans le personnage quelque chose de ses émotions intimes, peurs ou désirs." "D'une certaine manière, le personnage, qui n'est pas un double du lecteur, incarne pourtant l'un des mouvements qui l'animent en secret, par exemple, comme pour Marcel, devenir fort.
" Cette reconnaissance, factuelle ou symbolique, paraît comme la première étape du processus de l'identification littéraire. La seconde étape est celle de la projection. Le lecteur se met alors à la place du personnage, bon gré mal gré : non pas poussé par le désir de lui ressembler (...) mais piqué par la curiosité. L'enfant se demande ce qu'il ferait, lui, à la place du personnage. Il ressent, par procuration, les émotions qui traversent le personnage : c'est ce qu'on appelle l'empathie. Il s'indigne, s'inquiète, espère. Il réfléchit, critique, élabore des scénarios alternatifs. Il se réjouit, soupire de soulagement, triomphe..."
"Le phénomène d'empathie ne peut bien sûr se produire que si texte et image traduisent de manière cohérente une émotion crédible." En revanche le personnage n'a pas du tout besoin d'être humain pour susciter l'empathie chez le lecteur. Il n'est pas non plus nécessaire qu'il ait le même âge. Cela peut tout à fait être un adulte.
Lorsque les personnages sont pluriels
- lorsqu'il s'agit de duos, celui-ci peut incarner
- lorsqu'il s'agit d'un collectif dans lequel le lecteur n'est pas invité à singulariser des individus mais à s'interroger sur le groupe, le fonctionnement social et à envisager des notions comme la coopération, la solidarité, l'émulation, le partage, la symbiose.
La notion de personnage en lien avec les théories cognitivistes à propos de la compréhension des textes.
" Dans le courant des années 1980, des chercheurs anglosaxons et européens développent le paradigme du modèle mental de situation pour expliquer et décrire les processus de compréhension. Toute lecture conduit, grâce au traitement des informations textuelles, à l’élaboration d’une représentation signifiante et cohérente de la situation évoquée. Il s’agit d’une représentation mentale des personnages, des contextes, des actions et des évènements qui sont mentionnés dans le texte et que les connaissances du lecteur viennent compléter (Van Dijk et Kintsch 1983). Le modèle mental s’élabore grâce à l’activité inférentielle et métacognitive du lecteur. Dans un article de 1994, A.C. Graesser et alii énumèrent ainsi ces inférences : « [l]es buts et les mobiles qui motivent les actions des personnages, les connaissances et croyances des personnages, les traits, les émotions, les causes des évènements, les propriétés des objets, les relations entre les entités, les attentes sur les épisodes futurs de l’intrigue, les référents des noms et des pronoms, les prises de position de l’auteur, les réactions émotionnelles du lecteur, etc. ».
Bishop Marie-France, Boiron Véronique, « Des usages didactiques du personnage », Le français aujourd'hui, 2018/2 (N° 201), p. 5-11.
DOI : 10.3917/lfa.201.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2018-2-page-5.htm
Ces travaux donnent lieu à des recherches dans le domaine de la didactique de la compréhension de textes. Ci-dessous, le travail de Cèbe et Goigoux.
"Les indications géographiques et topographiques créent un effet de réel en situant l'aventure dans un monde qui est connu ou au contraire nous plongent dans un univers fantastique." Myriam Tsimbidy (ibid)
Les indications spatiales
" Les indications spatiales ne prennent tout leur sens que lorsqu'elles sont envisagées dans le système narratif où elles s'inscrivent." (Tsimbidy)
Elles convoquent
" La représentation du lieu s'inscrit dans le tissu textuel, elle est étroitement conditionnée au point de vue et au déplacement des personnages." (Tsimbidy)
Elles renseignent sur le genre :
- lorsque le texte mélange "références à notre univers et éléments incontrôlables, renvois à d'autres univers, lieux symboliques de la peur...)" on est en présence d'une histoire fantastique
- lorsque le texte construit "un univers tout à fait imaginaire, un autre monde possible mais de façon si précise, si détaillée, si réaliste que l'on y croira aussi" on est dans un récit de science fiction (Reuter)
"Les lieux tiennent des fonctions narratives :
Les indications temporelles
Les indications temporelles
Les indications temporelles assument aussi de multiples fonctions narratives :
Le mouvement peut être exprimé par des traits de mouvement ou des effets de flous ou encore par le fait de répéter une figure dans une même image.
Les "nombreuses images d'album montrant un plan d'ensemble faisant cohabiter une multitude de personnages ou de scènes indépendantes répondent à l'expression de la simultanéité. (...) Un fond sans perspective ni décor permet également de représenter dans un même espace des personnages simultanément présents en plusieurs endroits."