La narration


La narration



Narration

"La narration désigne les grands choix techniques qui régissent l'organisation de la fiction dans le récit qui l'expose."


Y. Reuter, L'analyse du récit

(Lorsque l'auteur des citations de cette page n'est pas indiqué, c'est qu'il s'agira de cet ouvrage.)


La particularité de l'album par rapport aux autres récits est bien sûr de comporter des images. Mais, pour Sophie Van der Linden, cela ne suffit pas. Dans un album, contrairement aux livres illustrés, la narration se réalise de manière articulée entre texte et images.


Modes narratifs

Pourquoi s'intéresser aux modes narratifs ?


En particulier, parce que suivant le mode narratif dominant dans le livre, album ou roman, l'effet sur le lecteur n'est pas le même. L'un de ces deux modes se rapproche énormément de l'expérience que l'on vit en regardant un film. Il y a fort à parier que c'est ce mode-là qui rencontre le plus de succès auprès des jeunes peu lecteurs. Savoir distinguer ces deux modes narratifs peut donc vous aider à choisir des ouvrages qui donnent envie de lire aux plus rétifs...


Raconter


Dans ce mode narratif, "la médiation du narrateur n'est pas masquée. Elle est visible. Le narrateur est apparent, il ne dissimule pas sa présence. Le lecteur sait que l'histoire est racontée par un ou plusieurs narrateurs."

C'est le mode narratif que l'on appelle diégésis. 


C'est un mode narratif où l'auteur utilise ce que l'on appelle des "sommaires", des phrases qui résument ce qui s'est passé. C'est là que l'on perçoit la différence entre le temps de l'histoire (plus long) et le temps du récit (plus court, plus ramassé pour ne pas ennuyer le lecteur). Tout de l'histoire n'est pas raconté dans le récit.


C'est aussi un mode narratif où les paroles des personnages "sont souvent médiées par le récit du narrateur" :

- des paroles narrativisées qui résument un discours plus ou moins long

- des paroles transposées (style indirect ou indirect libre)



Montrer


Dans ce mode narratif, "la narration est moins apparente pour donner au lecteur l'impression que l'histoire se déroule, sans distance, sous ses yeux, comme s'il était au théâtre ou au cinéma."

C'est le mode narratif que l'on appelle mimésis. 


Dans ce mode narratif " les scènes occupent une place importante. Il s'agit de passages textuels qui se caractérisent par une visualisation forte, accompagnée notamment des paroles des personnages et d'une abondance de détails. On a l'impression que cela se déroule sous nos yeux en temps réel."


Les paroles des personnages "sont souvent présentées snas médiation du narrateur comme si elles étaient directement prononcées par les personnages et rapportées "telles quelles" sous forme de monologue ou de dialogue, avec une prédominance du style direct." L'effet de réel est ainsi renforcé.


Qu'en est-il dans les albums ?


L'image unique donne à voir un instant sans que l'on sache si celui-ci est présent ou passé. Elle montre donc ! Certaines d'entre elles nous plongent plus que d'autres dans la scène : les images à fond perdu, celles où l'illustrateur a choisi d'enlever tout cadre.

Quelques-unes, plus rares, donnent à voir passé et présent simultanément. Elles racontent alors !

Mais c'est surtout l'articulation avec le texte qui indiquera au lecteur quel est le mode narratif choisi. La preuve en est, c'est qu'en l'absence de texte, le mode narratif perçu par le lecteur est la mimesis.


Voix et points de vue narratifs

Pourquoi s'intéresser aux voix et points de vue narratifs ?


Comme pour le mode narratif, la voix et le point de vue ne produisent pas le même effet sur le lecteur. Lorsque la voix et/ou le point de vue sont ceux d'un des personnages, l'identification à celui-ci est plus aisée. Or l'identification est un des ressorts les plus puissants pour aller au bout de la lecture. Mais attention, lorsque ce narrateur se cache du lecteur, alors au contraire la lecture devient plus difficile. La voix et le point de vue narratifs sont donc des éléments qui peuvent présider au choix de l'ouvrage. 

Par ailleurs, s'interroger sur le narrateur, sur le point de vue, lorsque ceux-ci sont internes, est indispensable pour produire une interprétation pertinente. L'on peut par exemple se demander si ce narrateur est fiable, pourquoi il perçoit le monde ainsi...


Les voix narratives


L'auteur a deux choix possibles pour raconter son histoire : soit il fait porter la narration par l'un de ses personnages, soit le narrateur est étranger à l'histoire. (Genette)

Ces deux choix déterminent l'énonciation.

Dans le cas d'un narrateur interne

  • usage des pronoms personnels je, tu, nous, vous
  • indicateurs spatio-temporels qui se réfèrent au moment et au lieu de l'énonciation (aujourd'hui, hier, demain, ici...)
  • des temps qui se réfèrent au moment de l'énonciation : présent, futur, passé composé, imparfait, plus-que-parfait

Dans le cas d'un narrateur externe

  • usage des pronoms personnels ils, elle,...
  • indicateurs spatio-temporels construis par rapport à des repères posés dans l'énoncé (la veille, le lendemain, à sa gauche...)
  • temps organisés en relation avec ces repères et non en lien avec l'énonciation : imparfait, plus-que-parfait, passé simple

La narration peut se faire à plusieurs voix.


Les voix narratives dans un album


Dans les albums, existe-t-il un narrateur unique qui se charge de l'articulation texte-images ou deux narrateurs, l'un textuel, l'autre iconique ? La question fait débat chez les spécialistes.

Nous explorerons ici la piste de la double narration lorsqu'elle permet une interprétation intéressante de l'album.


Pour aller plus loin

Narrateur visuel et narrateur verbal

Les deux narrateurs à l'œuvre dans l'album


La perspective ou point de vue narratif


Le point de vue concerne la question de la perception. "En effet il n'existe pas de relation mécanique entre raconter et percevoir : celui qui perçoit n'est pas nécessairement celui qui raconte et inversement." La perception concerne aussi bien la vue que l'ouïe ou l'odorat.

L'instance narrative est l'articulation entre la voix et le point de vue.

Les niveaux narratifs

Pourquoi s'intéresser aux niveaux narratifs ?


Récits emboîtés, alternés..., métalepse et mise en abyme sont autant de moyens à la disposition d'un auteur pour construire son récit. S'y intéresser est nécessaire pour deux raisons au moins. Ces procédés complexifient la lecture. Cela peut donc être un obstacle pour des lecteurs fragiles mais dans le même temps cela peut être un défi à relever. Le présenter ainsi aux jeunes lecteurs peut les motiver. L'autre raison est que ces procédés donnent nécessairement lieu à questionnement et donc jouent sur l'interprétation.


Lorsque le récit est fait de plusieurs récits...


Les constructions peuvent être

- parallèle : plusieurs récits se déroulement dans le même temps, ils peuvent être présentés par le texte mais aussi par les illustrations. Le lecteur reste libre d'organiser sa lecture. Ces récits parallèles interagissent généralement fortement entre eux.

- alternée : les récits, sans être forcément être simultanés, s'entremêlent. Le lecteur doit suivre les changements de point de vue du narrateur.

- enchâssée ou emboîtée : un récit en intègre un ou plusieurs autres.


La mise en abyme


Définissons-la grâce à un exemple : le médaillon à l'oreille de la "Vache qui rit" propose une image réduite de l'ensemble du couvercle. Il s'agit d'une mise en abyme. Un autre exemple : un personnage assiste à la projection d'un film qui raconte sa propre histoire.



La métalepse 


La métalepse désigne un glissement entre narration et fiction.

  • Le narrateur extérieur peut intervenir dans la fiction comme s'il était au même niveau que les personnages. Exemple : "Laissons les quitter ce lieu..." C'est une adresse au lecteur.
  • Les personnages eux-mêmes peuvent franchir la frontière entre fiction et narration pour apostropher l'auteur ou le lecteur et se comporter comme s'ils se situaient au même niveau qu'eux.

Ces procédés peuvent servir à amuser le lecteur, à créer le fantastique en brouillant les frontières entre réel et imaginaire ou encore à réfléchir sur les procédés utilisés pour fabriquer et faire adhérer à la fiction.


La métalepse est un procédé largement présent dans les albums jeunesse. Pour en savoir plus, voici quelques articles :

- Trois petits traités ludiques de fiction, Tauveron (Chester / Les mammouths, les ogres, les extraterrestres et ma petite sœur)

- Voyages transgressifs au-delà des frontières et autres métalepses dans la littérature jeunesse, Tauveron (Le mystère Harry Burdick, L'histoire d'un loup et d'un cochon, Le petit homme de fromage et autres contes trop faits)

- Lecture d'une littérature qui met en scène la littérature, Tauveron (à propos des Loups d'Emily Gravett)

- L'éducation du lecteur à travers la figure de la métalepse chez Claude Ponti, Artigues

- Exister ! de Nathalie Hensé, Tauveron


Le temps de la narration


Le moment de la narration 


Le moment de la narration renvoie au moment où est racontée l'histoire par rapport au moment où elle est censée s'être déroulée. Trois positions existent :

  • la narration ultérieure : le narrateur raconte ce qui s'est passé antérieurement, dans un passé plus ou moins éloigné
  • la narration simultanée : on a l'impression que le narrateur raconte l'histoire au moment où elle se produit
  • la narration antérieure (très rare) : le narrateur raconte ce qui va se passer dans un futur plus ou moins proche (rêves, prophéties...)


La vitesse de la narration


La vitesse désigne le rapport entre la durée de l'hstoire et la durée de la narration. L'auteur peut, à sa guise, ralentir ou accélérer le temps mis à raconter une histoire. 

Pour accélérer, il peut utiliser le sommaire (voir mode narratif) ou l'ellipse (une partie de l'histoire n'est pas racontée). 

Les dialogues et les scènes (voir mode narratif) produisent une égalité de temps entre l'histoire et sa narration. 

Le temps de la narration peut également être ralenti, notamment par les passages descriptifs mais aussi par les actions secondaires,... Cela peut être un procédé pour créer du suspense.



La fréquence  


La fréquence désigne l'égalité ou l'absence d'égalité entre le nombre de fois où un événement s'est produit dans la fiction et le nombre de fois où il est raconté dans la narration. Trois grandes possibilités :

  • le mode singulatif est celui de l'égalité. La plupart du temps, on raconte une fois ce qui s'est passé une fois. En revanche si l'auteur raconte plusieurs fois ce qui se produit plusieurs fois, c'est qu'il recherche un effet spécifique : marquage de l'angoisse, montée de la folie...
  • le mode répétitif : le texte raconte plusieurs ce qui ne s'est passé qu'une fois. C'est une structure cumulative qui est très fréquente dans les albums pour les plus jeunes.
  • le mode itératif : on raconte une seule fois ce qui s'est passé plusieurs fois (les sommaires)


L'ordre


L'ordre désigne le rapport entre la succession des événements dans la fiction et l'ordre dans lequel l'histoire est racontée dans la narration.

  • L'ordre de la narration correspond à l'ordre chronologico-logique de la fiction.
  • L'anticipation (prolepse) : rêves prémonitoires,... L'auteur peut ainsi faire monter l'angoisse chez le lecteur ou exciter sa curiosité.
  • La rétrospection ou flash-back (analepse) : raconter ou évoquer un événement après le moment où il se situe dans l'histoire

Un mode de narration assez répandu dans les albums jeunesse

  • La boucle : l'histoire n'a pas de fin parce que la situation finale et la même que la situation initiale.



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